Terre & Nature – pollution lumineuse

SCIENCE : Pollution lumineuse

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Eteignez les lumières – Les émissions lumineuses dues aux éclairages artificielles sont considérées par les scientifiques comme une nouvelle forme de pollution. Pour le monde vivant, animal, végétal et humain, elles ont des effets désastreux. Des mesures s’imposent.

Avec l’invention de l’ampoule électrique en 1854, l’humanité est entrée dans le siècle des lumières… artificielles. Aujourd’hui, on ne pourrait pas vivre sans. Elles sont partout présentes, aussi bien à l’intérieur qu’à l’extérieur, dans les rues, les gares, les parcs. Elles nous permettent de voir la nuit tout comme en plein jour et contribuent à assurer notre sécurité. Si les éclairages publics se sont imposés partout, l’obscurité, elle, a reculé. Des images satellite montrent que plus un seul kilomètre carrée du territoire helvétique n’est aujourd’hui épargné par l’éclairage artificiel, que ce soit directement ou indirectement. Etant de plus en plus gênés pour observer le ciel, les astronomes ont commencé à tirer la sonnette d’alarme au début des années 90. Plus inquiétant, des études scientifiques récentes et de plus en plus nombreuses révèlent que la lumière électrique a de graves conséquences sur le monde vivant (végétal, animal et humain). Aussi, elle est considérée comme une nouvelle forme de pollution.

Victimes par milliards

L’alternance du jour et de la nuit conditionne la vie et le développement de nombreuses espèces animales. Attirés par les lampadaires, de nombreux insectes viennent s’y brûler les ailes. Avec 6,8 millions de réverbères, l’Allemagne fait, l’été plus d’un milliard de victimes chaque nuit! A quoi s’ajoute l’impossibilité de migrer d’une région à une autre en raison des barrières lumineuses. Les amphibiens et les reptiles sont eux aussi perturbés. Un exemple: en Floride, les jeunes tortues marines n’arrivent plus à s’orienter à partir de la lune en raison des éclairages artificielles placés le long du littoral. Plutôt que de prendre la direction de la mer, “leur milieu vital”, elles partent en direction des maisons. Les oiseaux, eux, viennent s’écraser par milliers sur les immeubles éclairés lors de leur migration. Les plantes et les arbres situés à proximité de zones lumineuses perdent le sens des saisons. “Les exemples ne manquent pas pour illustrer l’influence dommageable de la lumière artificielle sur de nombreuses espèces appartenant à tous les groupes d’animaux, observe Enrico Buergi, chef de la division nature et paysage de l’Office fédéral de l’environnement (OFEFP), dans une brochure sortie à la fin de l’année dernière. Les émissions lumineuses sont devenues un réel danger ? une de plus ? pour la diversité des espèces et elles incommodent jusqu’à l’être humain.” S’appuyant sur la Loi fédérale sur la protection de la nature et du paysage ainsi que sur la Loi fédérale sur la protection de l’environnement, l’OFEFP donne des recommandations.

En Suisse, et plus encore en Suisse romande, on prend conscience de cette nouvelle forme de pollution que depuis récemment. Arnaud Zufferey, un jeune valaisan, a effectué une étude sur la question dans le cadre de sa formation d’ingénieur en environnement à l’EPFL. Depuis quelques mois, ils s’emploie à essayer de sensibiliser les pouvoirs publics à cette question. “Il y a cinq ans encore, nous n’avions pas d’arguments scientifiques pour dire qu’il y a un problème. Aujourd’hui, on sait qu’elles sont les impacts des éclairages artificiels sur l’environnement. Il est impératif de réagir plutôt que de poursuivre, de façon effrénée, la course aux lumières tous azimuts” (monuments historique, ?uvres d’arts, façades de bâtiments, giratoires, panneaux publicitaires, etc. ).

Les solutions pour limiter les “émissions lumineuses” existent et sont simples à mettre en oeuvre. Villes et communes devraient en premier lieu s’interroger sur les besoins réels, puis revoir et optimiser leur éclairage public. Zurich s’y emploie déjà: sur dix ans, tous les lampadaires seront orientés du haut vers le bas et la lumière sera canalisée. Bâle à mis en place une réglementation. La ville de Liestal (BL), elle, interdit les publicité lumineuses une partie de la nuit. “Dans les zones écologiquement sensibles et dans celles qui sont situées en bordure des agglomérations, l’on évitera ou limitera l’illumination de bâtiments, de panneaux et d’objets industriels à des fins publicitaires”, recommande l’OFEFP.

Gros gaspillage

A l’heure actuelle, entre 50 et 90% de la lumière extérieure (donc d’énergie) est perdue en raison de lampadaires ? en particulier les boules ? qui éclairent au-delà de leur cible, et notamment le ciel. Le recours à des minuteries permet par ailleurs de moduler l’éclairage, voire de l’arrêter une partie de la nuit lorsqu’il n’est plus vraiment utile, en particulier entre 2 et 6 heures du matin. “Dans la plupart des cas, endiguer une forme de pollution coûte de l’argent alors que lutter contre la pollution lumineuse en rapporte en économie d’énergie”, souligne Arnaud Zufferey. Selon ses calculs, la ville de Sierre pourrait économiser entre 100’000 et 120’000 francs par année en améliorant son éclairage et en le rendant moins ” polluant “.

Leo Bolliger, Terre&Nature, jeudi 27 avril 2006.